« Alors ceux qui craignent l’Eternel se parlèrent l’un à l’autre »
(Malachie 3:16)
C’est ici un article d’actualité que je commets, au vu d’une certaine juvénilisation que vit le monde chrétien avec le refus de passer du lait spirituel à la nourriture spirituelle solide.
Parler de la réflexion dans l’Église suppose d’emblée de définir l’Église. C’est, bien entendu, l’assemblée des croyants, mais aussi une structure énoncée en Éphésiens 4:11 comprenant des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et enseignants. Une église repose ainsi sur une assemblée au sein de laquelle se trouvent différents ministères diffusés et non concentrés. Le terme « pasteur » n’est pas à entendre au sens contemporain, il s’agit bibliquement d’un synonyme des mots « ancien » ou « ange », davantage quelqu’un qui accompagne qu’il ne contrôle. Au sein de l’assemblée, on trouve plusieurs anciens ; de nos jours, un ancien principal est pasteur officiel, souvent rémunéré, et les autres anciens n’ont pas le même ministère que lui. De plus, la parole n’est plus annoncée en discussion libre mais d’une estrade, une chaire, en tout cas d’une position géographique d’autorité et dans un format empêchant la discussion directe puisque le message est présenté de façon monolithique. Ce schéma déresponsabilise d’ailleurs l’assemblée, devenue assistance, et confère une autorité que ne prévoyait pas la Bible au pasteur. Mais, dans sa grande miséricorde, Dieu fait avec, comme il peut utiliser des églises prêchant l’idolâtrie pour toucher des cœurs, sans pour autant accepter leurs hérésies. Ce n’est pas sur ce point que je vais me prononcer, mais je l’aborde pour introduire mon propos.
Dès lors que l’assemblée devient une assistance, elle ne se comporte plus comme les Juifs de Bérée qui vérifiaient dans les textes saints dont ils disposaient alors le sérieux des sermons (Actes 17:10-11). Se déchargeant du souci de l’enseignement, elle est susceptible de perdre le discernement puisqu’il est également probable que n’étant qu’assistant à l’église, même en agitant les bras, le chrétien ne soit pas bien davantage acteur de sa vie de foi chez lui. Autrement, il se questionnerait sur sa place dans la communauté.
Comment vivre une vie d’assemblée active en n’étant que spectateur ? Il faudrait intervenir par exemple en discutant (de) les prédications, en interpellant les pasteurs ou les anciens, en apportant la parole, le tout sans chercher la confrontation en cas de désaccord comme aiment si bien le faire certains en quête de conflit ou de gloire. Dès lors, on ne serait plus spectateur puisque l’on agirait – on agirait de façon autonome (non pas indépendante). Imaginez deux prédications se présentant l’une comme une réponse à l’autre, un peu comme les épîtres de Paul aux Romains et aux Éphésiens et celle de Jacques peuvent se lire apparemment de façon dialectique concernant la prévalence de la foi ou celle des œuvres (Romains 3:28, Éphésiens 2:8-9 et Jacques 2:24)… C’est dans la confrontation de vues que les relations avancent, et celles dans l’Église également. Or, un spectateur qui confronterait ses vues avec un pasteur ne serait plus spectateur mais acteur. On le voit, passer de l’état de spectateur à celui d’acteur ne demande pas grand chose… Malheureusement, la culture actuelle, festive, laisse entendre que le spectateur est acteur non pas parce qu’il agit mais parce qu’il s’agite : fi des débats et examens des propos pastoraux ! vive la fête cultuelle ! La louange est devenue très festive, les gens sont priés de se lever, d’étendre les bras, de frapper dans les mains, et cela varie selon les cultures.
En soi, danser pendant la louange, étendre les bras, etc., ce n’est pas un souci, mais où est l’agir quand cela se fait sur commande ? A-t-on le droit de refuser de lever les bras parce que l’on préfère honorer Dieu autrement, que l’on n’apprécie pas ce qui se passe ou que le chagrin pèse trop sur les bras ? Un Allemand, en raison de l’Histoire (bien que l’évolution se fasse), ne tendra pas forcément le bras, un Japonais ne battra pas forcément des mains, et rien ne peut assurer qu’ils soient moins passionnés de Dieu qu’un chrétien « happy-clappy ». Davantage en retenue, ils auront pourtant peut-être été davantage acteurs que ceux qui auront agité leurs membres sur commande, au moins dans le fait de manifester une distance (l’inverse vaut aussi). On le voit là aussi, passer de l’état de spectateur à celui d’acteur ne nécessite pas un courage démentiel… Juste de ne pas céder au désir de conformité dans le groupe, désir de conformité favorisé par la dilution des individualités dans l’ensemble.
Comment ne pas se sentir gonflé à bloc en dansant sur des cantiques enthousiasmants, comment ne pas sentir le vent dans ses voiles quand tombent des termes très positifs tels « extraordinaire », « magnifique », « super » pour la moindre chose, sans que l’on ne puisse mesurer l’extraordinaireté des faits non précisés… (?) L’abus de superlatifs non justifiés peut même amener à parler de « miracles extraordinaires », alors qu’un miracle est par définition extraordinaire : on ne peut que supposer qu’un miracle extraordinaire est un miracle encore plus surprenant que ceux auxquels on peut avoir été habitué. On demande à voir, alors, pour s’assurer qu’il ne s’agit pas que de mots… Et la même prudence devrait être de mise concernant le vocabulaire en général, la louange, discerner entre les émotions et la réflexion, entre les émotions et l’onction. Passé le feu de l’émotion, le spectateur pourrait se demander s’il a vraiment été acteur et s’il ne s’est pas illusionné sur sa réception de la bénédiction.
L’entrée à Jérusalem (Hippolyte Flandrin)
Être positif n’est pas un souci en soi, mais un « positive thinking » abusif qui permet de nourrir des illusions et neutraliser la réflexion, jusqu’à laisser entendre que qui réfléchirait serait négatif, en est un. Je n’aime pas les surinterprétations de la moindre image de la Bible cherchant un message là où il n’y en a peut-être pas, mais je relèverai avec un certain amusement que Jésus entra dans Jérusalem sur un âne dont l’une des caractéristiques injustement méconnues est son intelligence : voici un animal qui vous portera et avancera non point parce que vous le lui ordonnez, mais parce qu’il a accepté de travailler avec vous et évalué autant que possible les risques, contrairement au cheval. En quelque sorte, l’âne est un esprit critique : volontaire, sociable, affectueux, positif, mais prudent. Une synthèse de la douceur de la colombe et de la prudence de l’aspic. Rien ne permet d’affirmer que Jésus ait voulu exprimer cette image ; elle illustre cependant parfaitement l’appel au chrétien que peuvent étouffer le festif et le « positive thinking » refusant toute réflexion : il doit être un participant pensant.
John John Summer