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Si, encore vivant aujourd’hui, Hemingway avait consacré une partie de son « Histoire naturelle des morts » au combat spirituel au lieu de la guerre terrestre, il aurait pu s’emparer de ce cas d’actualité rapporté par le Washington Post le 30 mai. Le pasteur Randy « Mack » Wolford est décédé le dimanche 26 mai après un culte particulier : Wolford était du nombre des pasteurs pentecôtistes qui manipulent des serpents, pensant ainsi suivre le Christ. C’est l’une de ces bêtes qui a eu raison de lui lors d’une réunion avec force parlers en langues lui accordant une fin terrestre à la manière du Petit Prince de Saint-Exupéry.

A peine entré dans sa quarante-quatrième année, la veille, Wolford a rejoint l’éternité. Comme son père décédé de la même façon en 1983. Randy « Mack » Wolford vivait pour maintenir cette tradition présentée comme biblique en Virginie-Occidentale, où elle est légale, mais aussi dans d’autres Etats américains prohibant la pratique. Dimanche, le service en plein air avait commencé dans la bonne humeur à la Panther Wildlife Management Area, le pasteur avait lancé des invitations sur Facebook. Ce devait être le jour pour ramener à l’église sa famille qui avait largement abandonné cette extravagance spirituelle. Trente minutes après le début du culte, Wolford choisit un serpent à sonnettes jaune qu’il passa à un fidèle puis à sa mère avant de le poser au sol et de s’asseoir à côté de lui. C’est alors que le reptile le mordit.

Au lieu de prendre la route de l’hôpital, les fidèles transportèrent le pasteur chez un parent pour qu’il récupérât comme cela s’était toujours passé jusque là, Dieu devant assurément accomplir sa parole, permettre qu’il triomphât du serpent alors que la victime d’un tel animal doit recevoir très rapidement un sérum spécifique. Mais en fin d’après-midi, la confiance laissa place à l’inquiétude et les appels à la prière fusèrent sur Facebook. Son état devenant très critique, ses proches appelèrent les ambulanciers mais il fut déclaré mort à son arrivée à l’hôpital.

Randy Wolford avait quinze ans lorsqu’il vit son père mourir à l’âge de 39 ans, également mordu par un crotale et dans les mêmes circonstances. Comme lui, il était convaincu que la manipulation de serpents venimeux participait de l’adoration de Dieu. La Bible ne dit-elle pas, après tout, « Voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues ; ils saisiront des serpents ; s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades seront guéris (Marc 16:17-18) » ? Poussant la conviction jusqu’à l’extrême, Wolford avait une chambre occupée par huit de ces animaux venimeux. Cette pratique très marginale avait servi d’arrière-plan à un épisode de la série X-Files, intitulé « Signs and Wonders », en référence aux versets-ci. Décrit comme ouvert et accessible, contrairement à aux autres prédicateurs de ce genre, par une photographe freelance qui s’était liée d’amitié avec lui et avait assisté à son agonie, l’apparemment sympathique Wolford manquait cependant de discernement.

Le Gadsden Flag, un drapeau remontant à la Guerre d'Indépendance :

Le Gadsden Flag, un drapeau remontant à la Guerre d’Indépendance : « Ne me marche pas dessus. »

Peut-on parler de foi ? Assurément, peut-être même d’une foi immense, mais d’une foi déboussolée car non adossée à la raison. Le passage biblique auquel souscrivait Wolford ne concernait pas la prise en main de serpents à des fins de témoignage, quand bien même cela aurait été pour la seule gloire de Dieu. Ce passage parle de miracles dans la nécessité, non dans la perspective d’utilité : un miracle devient nécessaire quand une personne se trouve dans une situation non souhaitée ; si le miracle est vu comme une simple utilité en vue du témoignage, il devient spectacle. Le Christ ne s’y était pas trompé en refusant d’accorder un miracle à ceux qui n’étaient attirés que par les manifestations spectaculaires et non le changement intérieur (Luc 11:16-32). Wolford se trompait mortellement de combat en voulant ressusciter une pratique en voie de disparation dans les États où la législation s’y oppose comme la Caroline du Nord ou le Tennessee. En se concentrant moins sur la Bible que sur une étrange pratique, Wolford a détourné le sens des paroles de Jésus contrairement à l’apôtre Paul qui mordu par un serpent n’a pas cherché à se donner en spectacle pour témoigner (Actes 28:1-6). S’il semblait plus courageux qu’un viril Indiana Jones, qu’un serpent pouvait facilement effaroucher, il s’agissait plutôt de témérité. Le courage et la foi raisonnable diffèrent en ceci de la témérité qu’ils ne négligent pas l’évaluation du danger mais s’en remettent à une cause supérieure qui justifie la prise d’un risque, tandis que le téméraire agit par inconscience de la réalité du danger.

En 2006, un pasteur pentecôtiste se noya sur une plage de Libreville, au Gabon, en prétendant marcher sur l’eau ; en 2010, un prédicateur subit les foudres d’un lion après être entré dans sa cage. D’autres pasteurs continuent à manipuler des reptiles aux États-Unis où le serpent à sonnette est le symbole de l’indépendance depuis Franklin et la Guerre d’indépendance. Il figure sur le Gadsden Flag, au-dessus des mots qui pourraient avertir ces prédicateurs : « Ne me marche pas dessus. »

John John Summer

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